On fête le 26 juin les 50 ans de la République malgache, mais pour beaucoup, ce n’est qu’en 1972 que le pays a conquis sa véritable indépendance. Jusqu’alors, l’ex-puissance coloniale française gardait la mainmise sur le pays.
«Jusqu’à 1972, il y avait une autre forme de dépendance, la France dirigeait encore tout», assure l’universitaire et militant historique Gabriel Rabearimanana.
L’élection à la présidence du francophile Philibert Tsiranana, les accords de coopération signés en 1960 maintenant une présence de très influents assistants techniques et militaires, la mainmise économique française… la première République est considérée comme une continuité de l’occupation coloniale, et pour beaucoup, ce n’est qu’à partir de 1972 que Madagascar a obtenu sa «véritable» indépendance.
Pourtant réélu avec 99,72% des suffrages en janvier, Tsiranana est cette année-là emporté inexorablement par une vague de grèves étudiantes et de violences. Lâché par la France, il confie les pleins pouvoirs au général Gabriel Ramanantsoa dès le 18 mai.
«C’était un réveil spontané. Nous nous sommes découverts culturellement, fiers d’être Malgaches», raconte Bekoto, l’un des membres du mythique groupe musical Mahaleo, apparu à cette époque sur le campus universitaire d’Antsirabe. Il a alors 17 ans, il est en première ligne, «frime» et «n’y comprends pas grand-chose». Il le reconnaît sans fard : «Derrière nous, derrière les grèves, il y avait nos oncles, nos grands-pères… Il nous disaient qu’ils en avaient marre et nous encourageaient.»
Communisme et malgachisation
Si 1972 est un premier jalon, le sentiment national est encore renforcé en 1975, quand Didier Ratsiraka prend les rênes du pays et instaure la IIe République. Le capitaine de vaisseau impose alors une politique de «malgachisation», qui se traduit par la suppression de l’enseignement en français, et la nationalisation des principales entreprises.
L’accord de coopération franco-malgache de 1973 est remis en cause, et Madagascar sort même de la zone CFA. À l’inverse, l’auteur d'un petit livre rouge (Les fondements de la révolution malgache) engage son pays auprès des régimes communistes, notamment celui de Corée du Nord.
Brillant communiquant, Ratsiraka consolide ainsi avec vigueur l’identité nationale. Si Bekoto en parle comme d’une «mise au pas idéologique», une bonne partie de l’intelligentsia du pays soutient le processus. «Les gens étaient fiers et enthousiastes, on parlait de révolution», se rappelle Gabriel Rabearimanana. Lui le premier, il espère que «la bourgeoisie va se prendre en main, que la malgachisation ne sera pas une simple traduction de l’enseignement français…».
«Où va-t-on ?»
Las. Parmi les pays africains les plus avancés en 1960, la Grande Ile se délabre inexorablement, s’enfonçant alors dans une pauvreté - d’où elle n’a toujours pas émergé aujourd’hui.
Pragmatique, Didier Ratsiraka renoue les liens avec l’ancienne puissance coloniale au début des années 80. C’est l’époque de l’ajustement structurel, de la création de la COI (Commission de l’Océan Indien) où Madagascar doit cohabiter avec la France représentée par les îles de la Réunion et de Mayotte…
Le passage presque brutal au libéralisme ne va pas pour autant signifier un décollage économique, ni même épargner Madagascar de crises politiques.
En 1991, 1996, 2002 et encore aujourd’hui, le pays plonge dans des querelles intestines qui freinent son développement sans franchement faire reculer la misère ou progresser la démocratie. «En 1972, cela avait bien démarré, on se demandait : "Qui est-on ?". Presque 40 ans plus tard, on n’a pas vraiment avancé, et on se demande désormais "Où va-t-on ?"», témoigne Bekoto.
Depuis l’éviction du président élu Marc Ravalomanana en mars 2009, le pays est justement une nouvelle fois en période de transition politique. L’élaboration d’une Constitution pour la IVe République doit lui donner un système enfin adapté à sa culture et à ses aspirations. Et normaliser une bonne fois pour toutes ses relations avec la France, dont le rôle récent a été largement contesté ? Gabriel Rabearimanana n’en démord pas : «Nous ne somme pas encore totalement indépendants».