Les yeux du monde se tournent aujourd'hui sur Singapour où se jouera peut-être l'avenir de Hery Rajaonarimampianina. La Cour suprême Singapourienne examinera, en effet, pour la seconde fois l'affaire relative à la saisie de bois de rose en provenance de Madagascar.
L'affaire remonte au 11 mars 2014 quand la douane singapourienne, suivant une alerte de l'Organisation mondiale des douanes, saisit 29 434 rondins de bois de rose d'une valeur de 50 millions de dollars. La cargaison était accompagnée d'un certain nombre de documents dont une lettre en date du 10 mars 2010 du ministère de l’Environnement et des Forêts autorisant l’exportation de 5000 tonnes de bois de rose, une autorisation pour l’exportation de produits forestiers du 17 février 2014 et un certificat de vérification de produits forestiers pour exportation avec certificat d'origine daté du même jour, et une autorisation d’exportation commerciale de produits forestiers du 18 février 2014. Déjà au niveau des dates, des anomalies sont relevées parce que le bateau transportant la cargaison a quitté le port de Toamasina le 14 février, c'est à dire quelques jours avant les différentes autorisations relatives à l'exportation.
Devant ces anomalies, les autorités singapouriennes se tournent vers le gouvernement malgache. Une responsable auprès du ministère de l’Environnement et des Forêts certifiait alors aux autorités judiciaires singapouriennes l’authenticité des documents. Elle confirmait, en outre, que le Ministère avait bien donné l’autorisation à un certain Zakaria Soilihi d’exporter les bois de rose. Aussitôt, la réponse est démentie, le 19 mars 2014, par le directeur général du ministère en soutenant que les documents accompagnant la cargaison sont des faux. La responsable revient alors sur ses propos et confirme la non-authenticité des documents. Devant la confusion, Singapour saisit le secrétariat de la CITES à Genève qui contacte à son tour le gouvernement. Le secrétariat n'aurait eu "pour seule réponse que le dossier était en cours d'investigation", lit-on dans le mémoire établi par l'ONG environnementaliste Alliance Voary Gasy (AVG).
En début décembre 2014, Anthelme Ramparany alors ministre de l'Environnement et des Forêts se rend à Singapour. Un mois plus tard, il envoie un mail aux autorités judiciaires singapouriennes confirmant officiellement l'authenticité des documents. C'est sur la base de ce témoignage que le tribunal a relaxé, en octobre 2015, la société Kong Hoo et son directeur général Wong Wee Keong.
Les procureurs singapouriens ne s'avouent pas vaincus et portent l'affaire devant la Cour suprême. Leur principal argument est que la cargaison était une importation (et non en transit comme le soutenait la défense) qui exigeait une certification CITES, ce dont n'avait pas la cargaison. En épousant cet argument, la Cour suprême annule, en février 2016, le verdict de relaxation et renvoie l'affaire en première instance sans avoir à tenir compte des actes du Premier ministre Jean Ravelonarivo qui dément Anthelme Ramparany en confirmant la non-authenticité des documents.
Le mémoire d'AVG s'étonne d'ailleurs que cette position apportée par Jean Ravelonarivo en date du 10 février 2016 avant qu'il n’ait démissionné, ne figure pas dans le dossier. Aussi est-ce toujours le témoignage d'Anthelme Ramparany de janvier 2015 que la défense a utilisé pour obtenir une nouvelle décision de relaxation des accusés devant le tribunal de première instance, en août dernier.
A tort ou à raison, d'aucuns croyaient que le président Rajaonarimampianina était allé intervenir auprès de son homologue singapourien dans la ville-Etat en mai dernier. En tout cas, les procureurs de Singapour ne lâchent pas prise et porte de nouveau l'affaire devant la Cour suprême qui va statuer ce jour. Pour le président Rajaonarimampianina, il s'agit d'une étape décisive pour convaincre les partenaires techniques et financiers de sa volonté réelle de lutter contre le trafic de bois de rose.
En dépit de l'engagement solennel du Chef de l'Etat, " aucun baron du bois de rose n'a jamais été condamné", constate l'ONG américaine Environmental Investigation Agency. Le seul gros poisson inquiété, un certain Bekasy, a été "exilé". En septembre, le Bianco a déferré les personnes impliquées dans la tentative d'exportation illicite de bois de rose. C'était à la veille de la réunion de la CITES qui n'y voyait pas une simple coïncidence. "Ils s'imaginent peut-être qu’il suffit d’une opération de dernière minute pour nous convaincre qu’ils agissent", souligne notamment le journal "Le Monde" en rapportant les propos d'un des experts de la CITES qui a reporté de 3 mois la sanction prévue d'être infligée à Madagascar pour son inaction contre le trafic de bois de rose.
Cette sanction consisterait à un embargo total des espèces protégées de Madagascar (lémuriens, serpents, crocodiles, serpents...) dont l'exportation est assez conséquente. En contrepartie de la suspension de la sanction, le gouvernement malgache par la voix de la ministre de l'Environnement, Johanita Ndahimananjara, s'engage à témoigner devant la justice que la cargaison saisie à Singapour est bel et bien illégale.
On verra si cette fois-ci, on va tenir parole. Dans le milieu des environnementalistes, on croit savoir que l'avocat asiatique requis par l'Etat malgache était sur place la semaine dernière. A-t-il reçu l’ordre de défendre la nouvelle position malgache et apporté les documents y afférents?
Toujours est-il que l'enjeu du procès de ce jour dépasse l'embargo de la CITES. C'est la crédibilité de Hery Rajaonarimampianina qui est en cause. Si le régime ne défend pas l'illégalité de la cargaison -position conforme aux textes et lois en vigueur, certains barons du régime se partageront peut-être les 50 millions de dollars que la société Kong Hoo voulait déjà verser dans une tentative de règlement à l'amiable. Pour eux, les espèces « aveuglantes » valent mieux que des promesses.